LE TRANSPORT ET LA DISTRIBUTION SOUS TEMPERATURE DIRIGEE


DES ORIGINES A NOS JOURS.


En 1945, tout est à reconstruire.

C’est à cette période que vont apparaître les premiers wagons « Isotherme ». Ils appartiennent en général à des loueurs de wagons comme Marcel MILLET, STEF, etc. Ils sont construits en bois. Entre les deux parois un isolant en laine de verre. Ils sont censés conserver aux denrées qu’ils transportent la température à laquelle elles ont été chargées. Au fur à mesure que l’on avance dans le temps des améliorations sont apportées à ces matériels. Au moment du chargement, des blocs de glace hydrique sont chargés dans des bacs placés à chaque extrémité.

Lorsque le wagon est en mouvement des ventilateurs entraînés par le vent provoquent un courant d’air à l’intérieur amenant de l’air frais sur le chargement. Les derniers construits aux alentours des années 50/60 seront même munis à chaque extrémité de ventilateurs fonctionnant électriquement. De l’appellation isotherme nous passerons à celle de « Réfrigérant ».

A l’époque le transport à longue distance est assuré à plus de 90 % par le fer. Pour acheminer leurs produits, les expéditeurs disposent de plusieurs régimes proposés par la S.N.C.F. Le R.O.(régime ordinaire), ou le R.A. (régime accéléré). Ce dernier permettant par exemple d’assurer la relation Provence / Halles de Paris en une nuit. Départ à 16 heures et mise à disposition à Paris-Bercy le même jour à minuit. C’est en effet dans cette gare parisienne qu’arriveront toutes les productions de fruits et légumes en provenance du midi et d’Algérie arrivées par le port de Marseille. Les wagons utilisés sont alors les classiques wagons en bois des compagnies ferroviaires. L’été pour ventiler un petit peu les chargements on se contentera d’abaisser les volets latéraux. Les Isothermes ou Réfrigérants sont en principe réservés aux exportations ou aux denrées fragiles comme le poisson. Compte tenu de leurs faibles nombres autant dire que l’été on se les arrache.

Les productions des autres régions ou pays, arrivent à Paris Vaugirard, Paris Batignolles, La Chapelle International.

Dans chaque gare, aux environs de 22 heures arrivent une noria de camions, la plupart carrossés en plateau nu ou bâché. Ils appartiennent en grande majorité à des chauffeurs qui se sont mis à leur compte et qui possèdent un ou deux véhicules. Quelques flottes importantes sont également présentes. ABC (André BAHU et Cie), Henri LACASSAGNE., LOVEAU, FTD, etc.. La vie est rude pour ces chauffeurs, le matériel a souvent été construit dans les années 30. On trouve des Renault, des Citroën, des Panhard, des Delahaye, des Latil, des UNIC, des Bernard, des Rochet-Schneider ou des Berliet, et des véhicules provenant des armées alliés tels que Bedford ou GMC qui ont été civilisés après leurs reventes par les Domaines. Les chauffeurs qui ont souvent travaillé dans la journée, vont ainsi faire la nuit un ou deux tours aux Halles Centrales. Ils finiront leur journée vers deux ou trois heures du matin pour reprendre la suivante à six ou sept heures du matin !

C’est entre 1950 et 1960 que le transport routier va prendre son essor et supplanter peu à peu le rail. La clientèle va progressivement délaisser ce dernier car il exige des pré et post acheminement à chaque extrémité. Sans oublier les grèves qui périodiquement perturbent le transport ferroviaire.

On va donc voir les constructeurs proposés des châssis spécialement construits pour la longue distance. Et la course à la puissance va commencer. Dès la fin des années vingt des entreprises de transports proposaient des transports à longues distances. Mais compte tenu de la périssabilité des denrées, souvent elles se limitaient aux moins fragiles comme les agrumes, les légumes, les conserves et fruits secs ou les marchandises générales. C’est la grande période de ceux que l’on va appeler les « Rapides ou les Primeurs ». Là encore beaucoup d’artisans transporteurs mais aussi des entreprises plus importantes.


La coordination depuis 1936, pour limiter la concurrence entre le rail et la route va créer pour cette dernière « les cartes de transport ou licences » qui subsisteront jusqu’à la fin des années 90. On aura les transporteurs à grande distance possédant des « cartes rouges », à petite distance des « cartes vertes », et, ceux oeuvrant que dans un secteur réduit ( moins de 50 km) dit zone de camionnage (cartes jaunes). Ce sont ces derniers qui chargeront les marchandises arrivées sur les quais des entreprises pour les distribuer chez les destinataires finaux. Parmi les grosses entreprises oeuvrant à partir des années 50 en grande distance on trouvera HONORE à Lille. Ce transporteur disposait de deux chauffeurs par camion. Sur un Lille / Marseille et retour le camion ne s’arrêtait que très peu. Les autres chauffeurs, lorsqu’ils voyaient un Honoré arriver disaient « écarte-toi car ce sont des fous furieux ! ». Avant de disparaître Honoré roulait avec des Bernard puis ensuite des Berliet, les fameux cinq cylindres GLR. Honoré était un spécialiste des fruits et légumes.


Entre Paris/Lyon/Marseille on trouvait notamment La Flèche Cavaillonaise, Transports Eclair, Cordier, Walbaum, etc. Entre le Sud-Ouest et Paris Express-Marée, Verdier, Olano, Robin, Sancier, Ladoux, Mazet, A.E.M., Dubouil, etc. Entre la Bretagne et Paris STG (Transports Gautier) Galopin, Merret, Verschuren, Mélédo Frères, Monnier, Postic, Sillou, Mounier, Bienvenu, Boissel, Hamon, Lharidon, etc. Certains depuis leurs sièges se dirigeaient vers plusieurs destinations en France ou à l’Etranger. Jura Transports, Lacroix, etc. Avant l’arrivée des constructeurs Allemands ou Suédois principalement, ils étaient soit Bernard, soit Berliet, soit Unic, et en moindre importance Willême, Latil, Panhard, Somua, Rochet-Schneider, Saurer. En grande distance on voyait peu de Renault d’une part parce que au lendemain de la guerre ce constructeur s’est limité aux camions de petit et moyen tonnage et que d’autre part ses véhicules n’étaient pas les plus réputés sur le plan de la fiabilité. Surprenant d’ailleurs car avant 1939 il fût un des pionniers des grands routiers. Malgré cela aujourd’hui il demeure, bien qu’appartenant au Suédois Volvo le dernier constructeur en France, tous les autres ayant disparu. Cela est probablement dû au fait que Renault ait eu la bonne idée de créer la Saviem ce qui lui a permis d’entrer dans le club des grands routiers en adoptant les technologies de Latil, Somua et plus tard de Berliet.

A la fin des années 60 une grande entreprise domine le marché hexagonal du transport de denrées périssables. Il s’agit de Alamassé, Bulle, et Cie. C’est le seul transporteur capable de livrer en 24 heures un envoi entre, par exemple, la Normandie ou la Bretagne, et la Côte d’Azur. Celui-ci va progressivement tracer sa toile par la création d’agences régionales. Il va assurer les tractions longues distances entre ses filiales avec ses propres véhicules et sur place assurer la distribution des colis avec des camions de moyen tonnage. La plus grande agence qui est aussi le siège social se trouve dans le 14° arrondissement de Paris. Expropriée elle sera transférée à Montrouge puis ensuite lors du transfert des Halles de Paris, à Rungis. Plus tard l’entreprise sera cédée à WORMS CMC (Cie Maritime et Charbonnière) et sera à l’origine de la création de TFE (Transports Frigorifiques Européens) qui associé à la STEF est devenu le premier groupe de transport, et, d’entreposage sous température dirigée en France et en Europe.

                                                                                                                                                                                                                                                  Par Jean-Pierre SAULET.


                                                                  L'Histoire en images


Les clichés ci-dessous reflètent l’évolution du transport et de la distribution sous température dirigée en France :



1- Fourgon intégral sur châssis 3 essieux ROCHET – SCHNEIDER Type Centaure

La charge utile de ce fourgon est de 15 tonnes. On avait l’habitude de dire : Un six roues, ou un 15 tonnes. La carrosserie a été réalisée par CHALAUD à Aubervilliers (93) pour l’entreprise GITSELS de Dunkerque.

CHALAUD n’est pas un spécialiste de l’isotherme mais du fourgon intégral. Le client achète un châssis nu dit en auvent de capot et le fait habiller par le carrossier de son choix ;

ROCHET-SCHNEIDER, fût un important constructeur lyonnais. La marque crée au début du siècle construira des voitures, et des camions. Et ensuite se limitera aux utilitaires. Le Centaure est le dernier gros porteur réceptionné par les Mines en 1949. Il représente le « chant du cygne » du constructeur, qui disparaîtra en 1955. Le Centaure a été produit à peu d’exemplaires jusqu’en 1951.L’usine et la marque étant reprises par Berliet avec lequel la collaboration était étroite depuis longtemps. Entre 1951 et 1955 les fabrications seront limitées à de la sous-traitance de pièces détachées pour d’autres constructeurs.



2- Fourgon intégral sur châssis 2 essieux LATIL. Le véhicule carrossé en fourgon intégral par le carrossier AUGEREAU est un 09 tonnes utiles. La photo a été prise alors qu’il vient d’être immatriculé en 1949. Il représente l’avenir du transport sous température dirigée. Bien que le groupe de production de froid ne soit pas installé, son emplacement est prévu au dessus du poste de conduite. A l’avant gauche on distingue les lettres TD (toutes distances) cela signifie que ce camion qui portera le n°77 chez Alamassé est destiné aux premières liaisons inter-centres par la route.




3- Fin des années 40 début des années 50. Ces deux FORD construits à Poissy par Ford France sont typiques des véhicules de camionnage à Paris en cette moitié du 20° siècle. Ils chargent du frêt parvenu par avion probablement à l’aéroport du Bourget. Il s’agit d’une marchandise à forte valeur ajoutée et sans doute très périssable. Qu’importe elle sera transportée sur ces plateaux à ciel ouvert. Si le temps est menaçant les chauffeurs dérouleront la bâche placée sur la cabine. On remarquera également les chables de chaque côté utilisés pour maintenir des chargements en hauteur ou des fûts. Après un court trajet les cartons auront atteint leur destination finale (entrepôt frigorifique ou importateur aux halles centrales).


4- Ce cliché est intéressant dans le sens où se trouvent côte à côte 3 générations de camions.

Au centre un Renault type 208 D. conçu avant 1939 et dont la fabrication reprise en 1945 durera jusqu’en 1947. Année où le R.4080 lui succédera. C’est un 7 tonnes utiles. Au fond un UNIC probablement un ZU 72 encore une conception d’avant 1939. Charge utile 8/9 tonnes. Il date des années 50/55. Les carrosseries ont des ossatures en bois, recouvertes de tôles. L’Unic au premier plan est un des premiers camions « modernes ». C’est un ZU 120 construit à partir de 1955. Il présente des avancées significatives au niveau de la puissance (moteur 6 cylindres et 120 CV), de la fiabilité, du freinage, de la direction (assistée), de la cabine. On commence à se soucier du confort du conducteur. Il s’agit d’un camion rapide atteignant facilement 80 km/heure. Dès 1950 Berliet et Unic se partageront plus de 60% du marché français des gros porteurs.

Ces camions qui font partie de la flotte Alamassé Bulle et Cie ne sont pas équipés de groupes frigorifiques. Même le plus récent. Cela signifie qu’ils sont affectés à des tournées régionales de ramassage de produits laitiers et avicoles dans les laiteries et abattoirs de la région. La législation n’imposant pas encore l’obligation d’une

température dirigée, pour les courtes distances. Les « ramasses » sont chargées en gare de Tours, ou, Poitiers dans des wagons STEF Réfrigérés à destination de Paris Vaugirard.



5- Ce joli fourgon intégral isotherme sur châssis SOMUA JL17 ou 19 a été carrossé par COTTARD à Bourg en Bresse. Immatriculé dans le Rhône au début des années 50 il transporte les produits laitiers de l’entreprise ZANELLY de Lyon. Là encore on se contente d’une carrosserie isotherme. SOMUA était une filiale du puissant groupe industriel SCHNEIDER. Installée à Saint-Ouen (93), la firme avait la réputation de véhicules fiables, rapides et puissants. SOMUA avec LATIL et RENAULT intègreront la nouvelle SAVIEM crée par le constructeur de Billancourt le 23 décembre 1955.


 

6 et 7- Dans une entreprise de camionnage à Paris en 1961 sont présents des UNIC carrossés en caisses « primeurs ». Ils assurent des transports à longue distance entre MARSEILLE/ PARIS/MARSEILLE. Primeurs à la montée, marchandises générales au retour. La carrosserie est en bois, avec ouies basses pour la ventilation une petite bâche recouvre l’ensemble. On aperçoit un rare grand routier SAVIEM Tancarville. Celui-ci assure pour le compte de la Régie Nationale le transport des pièces détachées à destination de la succursale marseillaise. Cette dernière ayant exigée du matériel RENAULT. A côté des UNIC le nez d’un rapide BERLIET GLR, plus loin CITROËN P45 et BERLIET GLA. Ces deux derniers camions étant des véhicules affectés au camionnage.


 

8-9-10- Expéditions des Choux-Fleurs « Paysan Breton » en gare de Saint-Pol de Léon (29). En 1960 la traction hippomobile côtoie les camions dans ce centre expéditeur, l’un des plus importants de France. Un CITROËN P45 dont le chargement défie les lois de l’équilibre est en cours de déchargement dans un STEF Réfrigérant. On notera les ventilateurs sur le toit. Un petit peu plus loin un plateau tiré par un cheval sert à remplir un simple couvert SNCF. On aperçoit les choux fleur empilés jusqu’au toit par les panneaux latéraux abaissés. Le premier part à l’export, le second restera en France.



11- Ce petit camion HOTCHKISS Type PL25 date de 1952. Le fourgon a été réalisé par le carrossier POURTOUT. A l’avant un bac à glace hydrique accessible par porte latérale à droite apportait un petit peu de fraîcheur à la viande pendue chargée dans le fourgon. L’air entrant par les ouies pratiquées dans la face avant au-dessus de la cabine. Les Boucheries PAUPELIN qui possédaient 3 magasins dans Paris assuraient elles-mêmes leurs transports entre les abattoirs de La Villette et leurs magasins. On notera une nette évolution par rapport aux plateaux ridelles FORD d’Alamassé. Ce véhicule a été heureusement sauvegardé.



12- Ce SAVIEM SM8 carrossé par CHEREAU à Avranches se contente d’une carrosserie isotherme. La CEGF (Compagnie des Entrepôts et Gares Frigorifiques), filiale de la puissante STEF pour assurer sa distribution en région parisienne a prévu l’emplacement d’un groupe frigorifique mais se réfère à la réglementation qui ne l’exige pas encore.

Nous sommes au début des années 60.


13- La CEGF s’appelle désormais UEGF (Union des Entrepôts et Gares Frigorifiques). Pour sa distribution à Trappes elle a demandé à DANZAS de lui louer ce petit camion HENSCHEL 3 tonnes utiles. La carrosserie réalisée par TUAL et GOURMELEN à Trédion (56) est munie d’un groupe PETTER et est agrée en classe C. Nous sommes en 1974.


Partis d’un simple plateau nu nous sommes arrivés aux cellules isothermes actuelles réalisées en panneaux sandwich, sur lesquelles sont montés des groupes de production de froid pour répondre aux exigences des classes A,B,ou C.

Quelle évolution en à peine 30 ans !


N.B. Toutes les photos appartiennent à des collections privées.



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